Extrême-Orient > Les demeures du temps
Les constructions humaines ne se limitent certes pas au bâti grandiose et ostentatoire des temples et des monastères. Mais jusqu'à une époque récente – et actuelle encore –, l'habitat, même princier, prisait les matériaux périssables : bois, palme, bambou, et n'a que rarement résisté aux affres particulièrement impitoyables du climat sous les tropiques, livré aux intempéries perpétuelles des moussons. Les édifices en pierre eux-mêmes, à l'instar d'Angkor ou de Borobudur, ont subi les assauts d'une végétation vorace dès leur abandon précoce.
La restauration encore partielle de ces monuments colossaux tend paradoxalement à pérenniser le règne de l'éphémère... Les linteaux s'animent de monstres chronophages, les bas-reliefs narrent des batailles cosmiques ou des vocations ascétiques qui dépassent l'humaine condition, bouddhas et asuras de grès transcendent les réalités ontologiques, tandis que les racines tentaculaires des frangipaniers et des ficus refusent obstinément de restituer leurs proies effondrées au labeur des archéologues.
Qu'importe... Les moines et les fidèles réinvestissent les espaces défrichés, bâtissent de nouvelles pagodes où le béton supplante le tek. Les monastères himalayens, eux, s'effritent impassibles dans les frimas, et les stupas vacillent quand la terre gronde. Et le monde va son bonhomme de chemin, élevant de nouvelles Babel de verre et d'acier, matériaux d'alchimistes qui défient la roue patiente du temps...