Extrême-Orient > Panem et circenses
Du pain et des jeux. Une maxime qui s'applique avec un rare bonheur en Asie du Sud-Est, où l'omniprésence des denrées alimentaires va souvent de paire avec un engouement de tous les instants pour le jeu.
Historiquement, l'Insulinde fut la patrie des épices les plus convoitées : muscade et girofle principalement, mais aussi gingembre, poivre ou noix de coco. Ces précieuses denrées jetèrent nombre de navigateurs européens sur les mers du Globe ; ainsi Vasco de Gama ou Fernand de Magellan, à qui ce site est dédié. Leur audace et leur ténacité, leur avidité aussi, ouvrit la porte aux Grandes Découvertes et au choc de cultures qui depuis lors se dissolvent peu à peu dans l'inéluctable (?) mondialisation.
A Taïwan ou à Manille, sur les rives de la Chao Phraya ou les nefs du Mékong, dans les marchés de Java ou les hawkers de Malaisie : la nourriture est partout, faisant tout bonnement partie du paysage urbain et rural. Loin d'être confinée aux échoppes, véritables caverne d'Ali Baba où s'empilent des montagnes de fruits exotiques ou s'alignent des bassines de crustacés, elle jalonne aussi les trottoirs, les canaux, les autels des pagodes... Un festival de saveurs mais aussi d'odeurs et de stupeurs, dans lequel les gloutons se jettent à corps perdu.
Un prétexte fort répandu au grignotage frénétique comme aux agapes orgiaques est le jeu. Que l'on dispute une partie d'échecs (chinois ou indiens) à la terrasse d'un quán cà phê ou d'un warung kopi, ou que l'on assiste à quelque réjouissance plébéienne (combat de coqs ou de buffles, courses de bœufs ou de bateaux), les stands de sari tebu, de chè ou de halo halo ne sont jamais loin !
Du ludique au liturgique, la nuance est ténue, à l'instar des Jeux de l'Antiquité méditerranéenne. Jouer convoque des arcanes mystérieux ou mystiques, qui transcendent le monde des simples mortels. Les dieux ne sont jamais loin du damier ou de l'arène, non plus que du théâtre de marionnettes, ce marqueur culturel de l'Asie du Sud-Est aux multiples incarnations de bois, de cuir ou de chair et de sang.
Le divertissement se confond avec l'offrande, les vivants dialoguent avec les morts, et tout ce petit monde trinque, hilare, aux tours pendables de la Fortune.